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L’origine des Esprits - une lecture du vivant en médecine chinoise

L’origine des Esprits - une lecture du vivant en médecine chinoise

Le 06/11/2025

Dans Corps et Esprits

Avant d’être une idée, l’Esprit est une manifestation du vivant : l’expression de la vie qui circule, ressent, pense et agit. Les anciens disaient que lorsque le souffle du Ciel rencontre celui de la Terre, la vie apparaît. Et dans cette vie, il y a une clarté, une conscience : ce que la médecine chinoise nomme Shen, l’un des Esprits.

Dans la pensée médicale chinoise, tout commence par le Qi, le souffle vital qui anime le corps et le relie à son environnement. Le Qi n'est pas une énergie au sens moderne : c'est un mouvement de la vie, la capacité qu'a toute chose vivante de se transformer, de s'adapter, de respirer.

Lorsque ce souffle circule librement, le corps est vivant, l’émotion est juste, la pensée est claire. Mais si le souffle se fige, s’épuise ou s’agite, les Esprits se troublent.

Le Suwen, texte fondateur du Huangdi Neijing, résume cela simplement :

" Lorsque le Qi circule harmonieusement, les Esprits demeurent en paix " 
(Suwen, chap. 8)

 

Les Esprits, une observation du vivant

Les Esprits - Shen, Hun, Po, Yi, Zhi - ne sont pas des entités séparées, encore moins des forces mystiques. Ils désignent les aspects subtils de la vie consciente, tels que les observaient les médecins de l’Antiquité : la faculté de penser, de rêver, de se souvenir, d’éprouver une émotion, de décider, de désirer, d’espérer.

Ces notions ne relèvent pas d’une croyance, mais d’une observation fine du corps humain et de ses mouvements intérieurs. Elles traduisent l’expérience du lien constant entre la matière et la conscience, entre le sang, le souffle et la pensée. Les anciens voyaient dans les émotions, la mémoire ou la réflexion non pas des phénomènes isoléesn mais des manifestations du Qi dans ses formes les plus fines.

Ainsi, lorsqu'une personne dort mal, que sa pensée tourne sans repos ou que sa joie se vide de sens, le praticien n'y voit pas d'abord un trouble psychologique : il y perçoit une perturbation du souffle, un désacord entre le corps et l'esprit. Les Esprits expriment ces déséquilibres subtils.

 

Le corps, demeure des Esprits

Pour la médecine chinoise, l’esprit n’habite pas " au-dessus " du corps : il habite le corps. Chaque organe en est le siège et le reflet :

  • le Cœur abrite le Shen,
  • le Foie le Hun,
  • le Poumon le Po,
  • la Rate le Yi,
  • le Rein le Zhi.

Ces Esprits animent les fonctions physiques autant que psychiques : la respiration, la mémoire, la volonté, la joie, la tristesse.

Comme le rappelle Philippe Sionneau, les Esprits sont " les fonctions psychiques de la vie ". Ils traduisent la manière dont le vivant se perçoit et agit à travers le corps. Cette approche ne sépare donc pas le psychique du physiologique : elle les relie dans une même trame de souffle.

Nicole Tremblay écrit elle aussi que les Esprits " ne sont pas des entités, mais des manifestations de la vie consciente ". Ils sont ce qui anime, ce qui met en mouvement, ce qui rend possible la relation avec soi et avec le monde.

Ainsi, le Shen du coeur éclaire la conscience, le Hun du Foie donne l'élan, le Po du Poumon incarne la sensibilité, le Yi de la Rate soutient la pensée et le Zhi du Rein nourrit la détermination. Chaque Esprit porte une manière d'habiter le monde, et ensemble, ils forment l'unité de la personne.

Cinq elements
 

L’unité du corps et de la conscience

Dans la médecine chinoise, le corps et l’esprit ne s’opposent pas, ils se tissent. Quand le souffle se trouble, la pensée s’éparpille ; quand le souffle s’apaise, la présence se clarifie. Cette vision ne relève pas de la spéculation, mais de l’expérience quotidienne du soin : observer, toucher, écouter, sentir comment le vivant se réorganise.

J'aime cette idée que le corps n’est pas seulement une enveloppe, mais le lieu où la vie se pense et se transforme. Cette phrase exprime avec justesse ce que la tradition chinoise enseigne depuis toujours : le corps n'est pas séparé de la conscience, il en est la condition, le miroir et le langage.

Dans la pratique, cela signifie qu'un praticien prend soin d'un être en entier :

  • en tonifiant le souffle du Rein, il soutient la volonté,
  • en apaisant le Coeur, il éclaire la claté de l'esprit,
  • en harmonisant le Foie, il redonne souplesse à la pensée et au mouvement.

 

 

Un regard sur le vivant, pas une croyance

Parler des Esprits, dans la médecine chinoise, ce n’est pas aborder le spirituel au sens religieux. C’est décrire le vivant, dans toutes ses dimensions : physiologiques, émotionnelles, mentales.

Cette vision n’entre pas en contradiction avec la foi, car elle ne cherche pas à définir l’âme, mais à comprendre la vie qui nous traverse.

 Le mot Shen est souvent traduit par "esprit " ou " conscience ". Mais il désigne avant tout la lumière du vivant : ce qui éclaire nos émotions, oriente nos gestes, habite notre regard. Dans cette perspective, le soin consiste à nourrir cette lumière, à préserver la clarté de la vie dans le corps.

 Cette clarté, c'est aussi celle de la présence : un esprit apaisé, un souffle régulier, une parole juste. La médecine chinoise cherche moins à " élever " l'esprit qu'à le ramener dans le corps, dans l'équilibre simple du Ciel et de la Terre, là où la vie peut respirer pleinement.

 

Une sagesse du souffle

Les Esprits sont les expressions les plus fines du souffle. Ils naissent du Qi et retournent au Qi. Ils témoignent de cette circulation incessante entre le dedans et le dehors, entre ce que nous sentons et ce que nous pensons.

La médecine chinoise, en parlant des Esprits, ne propose pas une croyance, mais une sagesse du souffle : une manière d’écouter la vie à travers ses manifestations les plus concrètes - la respiration, le rythme du cœur, la justesse des émotions.

" Lorsque le souffle se trouble, l’esprit s’égare. Lorsque le souffle s’apaise, la conscience s’éclaire. "
(Suwen, chap. 8)

 

Ainsi naît la notion d’Esprits dans la médecine chinoise : non pas comme des figures invisibles, mais comme une manière de penser la vie incarnée.

Dans les prochains articles, nous irons à la rencontre de chacun d’eux en commençant par le Shen, lumière du cœur et conscience du vivant.

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Sources et références

Cet article s’appuie sur les textes classiques et les enseignements qui fondent la médecine chinoise :

  • Huangdi Neijing 黃帝內經 (Classique interne de l’Empereur Jaune) – Suwen 素問 et Lingshu 靈樞, textes médicaux fondateurs (IIIᵉ siècle av. J.-C.)
  • Nan Jing 難經 (Classique des difficultés) – développement du Neijing (Iᵉ siècle).
  • Philippe Sionneau, Les fondamentaux de la médecine chinoise (Guy Trédaniel, 1995) et Les émotions en médecine chinoise (2010)
  • Nicole Tremblay, Les Esprits en médecine chinoise traditionnelle (Éd. CFMC, 2010) et L’Homme et ses souffles (You Feng, 2007)
  • Jean-Marc Triboulet (école Shentao), enseignements oraux et séminaires sur les correspondances organes-psychisme (école Shentao)

Images : Shutterstock, photo et création personnelles 

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